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Déconstruire, sensibiliser, prévenir : le SCJE face au système prostitutionnel (1/2)

20/01/2025

La prostitution en France reste une problématique complexe, touchant aussi bien les victimes que ceux ayant recours à ces services. Malgré la loi de 2016, qui pénalise l’achat d’actes sexuels et protège les personnes prostituées, la réalité du système prostitutionnel demeure bien présente. Ce phénomène est étroitement lié à des enjeux sociaux, économiques et culturels, amplifiés par l’accès facilité à la pornographie en ligne. La prévention et la prise de conscience collective sont donc essentielles pour lutter contre l'exploitation sexuelle. 

 

C'est dans ce contexte que Gaëlle Meira, référente des stages de sensibilisation à la lutte contre l'achat d'actes sexuels au SCJE de Pantin, intervient. Elle nous livre aujourd'hui son témoignage et nous explique en quoi ces stages sont essentiels pour déconstruire les idées reçues et sensibiliser les participants aux réalités du système prostitutionnel. Cet article constitue la première partie de notre focus sur l'achat d'actes sexuels et les actions de prévention menées pour lutter contre ce phénomène. Voici son témoignage. 

 

 

Partie 1 - Un stage pour déconstruire : comprendre les réalités de la prostitution et agir 

 

Gaëlle Meira anime, au SCJE de Pantin, le stage de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels. Celui-ci s’adresse à des personnes interpellées pour avoir eu recours à la prostitution, que ce soit dans la rue ou sur internet.

Son objectif ? Leur faire ouvrir les yeux sur les réalités du système prostitutionnel, tant du côté des victimes que des auteurs. Mais aussi, leur faire comprendre pourquoi la loi du 13 avril 2016 a vu le jour, celle-ci visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées.

 

  

Débattre, écouter, comprendre : les clés du stage 

 

Ces stages sont avant tout des parcours de déconstruction, placés sous le signe de la bienveillance. La majorité des participants arrivent en minimisant leurs actes, persuadés qu’ils ont simplement payé pour un service. Beaucoup n’ont jamais envisagé qu’en achetant un acte sexuel, ils alimentent un système qui exploite des personnes en grande vulnérabilité.

 

Pendant ces trois demi-journées, Gaëlle essaie d’instaurer un dialogue interactif, humain, et sans jugement. Pas question de faire un cours magistral ni de stigmatiser les participants.

 

Dès la première séance, les bases sont posées avec un échange collectif. Elle leur demande ce qu’ils pensent de la prostitution. Les idées qui ressortent ? "C’est le plus vieux métier du monde", "Elles sont là par choix", "Je ne vois pas le problème". Mais au fil des discussions, les réalités sociales, économiques et psychologiques du système prostitutionnel sont creusées ensemble. Les échanges abordent les violences, la précarité, les risques sanitaires.

 

Elle utilise plusieurs supports — affiches, témoignages, reportages, ainsi que les expériences professionnelles issues des missions du SCJE — pour étayer le sujet et le rendre plus concret. Ces outils permettent aux participants de mieux comprendre les parcours de vie des personnes prostituées et d’appréhender la réalité du système d’exploitation qu’ils contribuent à alimenter.

 

L’objectif n’est pas d’asséner des vérités, mais d’ouvrir des pistes de réflexion et de les amener à regarder les choses autrement. À mesure que les échanges avancent, certains participants commencent à comprendre que derrière cet acte, en apparence banal, se cache une réalité bien plus sombre. Et c’est là que le travail de déconstruction commence vraiment.

 

 

Des interventions clés 

 

Les témoignages de personnes ayant vécu la prostitution, souvent enrichis par la collaboration avec des associations comme le Mouvement du Nid, constituent des moments forts du stage. Ces récits offrent une perspective humaine et concrète, permettant aux participants de mieux appréhender les réalités de la prostitution, ses conséquences, mais aussi les parcours de résilience et de reconstruction.

 

Et puis il y a la deuxième intervention clé : celle de Caroline Courbet, notre psychologue. Elle aborde les conséquences psychologiques et sanitaires de la prostitution. Ce moment est souvent délicat, mais essentiel. Les échanges sont libres, confidentiels. C’est là que beaucoup commencent à remettre en question leurs croyances. 

 

 

Les participants, moteurs d’une prise de conscience collective 

 

Les hommes qui assistent au stage viennent d’horizons variés. Certains sont jeunes, d’autres beaucoup plus âgés. Certains cherchent à fuir la solitude, d’autres rencontrent des difficultés relationnelles, ou sont motivés par des fantasmes ou des addictions.

 

Gaëlle remarque que cette hétérogénéité permet des échanges instructifs, notamment entre les générations, et permet à chacun d’apporter un regard que n’aura pas son voisin de table. Ces discussions peuvent parfois avoir un impact émotionnel fort.

 

 

Les défis de l’animation 

 

Animer ces stages n'est jamais simple. Les défis sont nombreux, mais c’est aussi ce qui rend le travail enrichissant.

 

La première difficulté ? L’incompréhension. Comme dit précédemment, beaucoup de participants ignorent la loi du 13 avril 2016 et arrivent sans vraiment savoir pourquoi ils sont là. Alors, dès le début, elle leur demande s'ils connaissent cette loi. Leurs réponses, floues, ouvrent la porte à une première discussion. Ensemble, ils reprennent les grandes lignes : la pénalisation de l’achat d’actes sexuels, les parcours de sortie pour les personnes prostituées, la prévention… Elle explique que cette loi va au-delà de la pénalisation des clients : elle protège les personnes prostituées, propose des parcours de sortie, et mise sur la prévention.

 

L’autre défi est la dynamique femme-homme. La majorité des participants sont des hommes, souvent méfiants face à des intervenantes. Ils craignent un jugement ou une « leçon féministe ». Gaëlle casse cette impression dès le départ : pas de jugement ici, mais des échanges ouverts. Son rôle, c’est de les inclure dans les débats et de les amener à réfléchir eux-mêmes.

 

Le vrai défi ? Déconstruire leurs préjugés. Certains pensent que la justice les cible injustement ou que la prostitution est un choix sans contrainte. Elle les laisse parler, même quand leurs propos sont durs à entendre. Puis elle rebondit en posant la question au groupe. Ce sont les échanges qui les amènent à réaliser que leur perception n'est pas la seule possible.

 

Bien sûr, elle fixe des limites. Si un participant devient déplacé ou perturbe le stage, elle intervient. Mais c’est rare. La plupart du temps, les échanges restent respectueux et constructifs.

 

Ce qui la fascine, c’est leur évolution. Ils arrivent sur la défensive et repartent souvent avec une vision plus nuancée. À la fin, elle leur demande ce qu’ils retiennent du stage. Certains admettent ne pas avoir changé d’avis, mais reconnaissent qu’ils ne peuvent plus ignorer les réalités abordées. D’autres la remercient pour l’approche, parlant de bienveillance. Et c’est là l’essentiel : instaurer un espace de réflexion sans jugement.

 

 

Sensibiliser aujourd’hui, prévenir les violences de demain 

 

Ces stages de sensibilisation, c’est bien plus que de parler de prostitution : c’est ouvrir les yeux sur des réalités que beaucoup ignorent. La loi du 13 avril 2016 a marqué un tournant, certes contesté, mais elle met enfin en lumière une problématique souvent invisibilisée.

 

Ce que Gaëlle essaie de faire à travers ces sessions, c’est de pousser les participants à une prise de conscience individuelle, mais aussi collective. Parce que les enjeux dépassent largement leur propre expérience : ils touchent à la perception que la société a de la prostitution, des violences faites aux femmes, de l’intimité et du respect du corps.

 

En sensibilisant ces hommes, elle agit sur un levier essentiel : la banalisation des violences liées au sexe. Et même si l’impact peut sembler invisible à court terme, chaque réflexion semée, chaque idée déconstruite, participe à un changement de mentalité plus global.

 

Ce travail de prévention, c’est aussi une manière de protéger les plus jeunes. Parce qu’ils grandissent dans un monde où l’accès à la pornographie est immédiat, où les corps sont marchandisés, où les rapports sont souvent biaisés par des clichés sexistes et violents.

 

Alors, est-ce que ces stages changent tout ? Non. Mais ils créent des déclics. Ils bousculent des certitudes. Et à son échelle, c’est déjà une belle avancée. Parce que chaque personne sensibilisée devient un maillon de plus dans la chaîne de la prévention des violences sexuelles.

 

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