À Lille, un stage inédit ouvre les yeux sur la maltraitance animale
21/10/2025
Il est 9h15, dans la salle de stage du SCJE à Lille. Les participants entrent progressivement et s’installent autour des tables disposées en U. Ici, pas de cours sur les valeurs de la République comme dans les stages de citoyenneté classiques. Aujourd’hui, il s’agit de parler d’animaux, de lois et de responsabilité.
Un besoin identifié, depuis plusieurs années
Ce stage n’est pas né par hasard. Depuis plusieurs années, le SCJE se confronte à un contentieux particulier : la maltraitance animale. Dans les enquêtes de personnalité et les enquêtes sociales renforcées ou dans le cadre des alternatives aux poursuites, des cas de sévices et d’actes de maltraitance sont régulièrement identifiés.
Pourtant, les stages existants, comme celui sur la citoyenneté et les valeurs de la République, ne permettaient pas d’aborder spécifiquement ce type de contentieux. « 𝘓𝘦 𝘴𝘵𝘢𝘨𝘦 𝘤𝘪𝘵𝘰𝘺𝘦𝘯𝘯𝘦𝘵𝘦́ 𝘯𝘦 𝘯𝘰𝘶𝘴 𝘴𝘦𝘮𝘣𝘭𝘢𝘪𝘵 𝘱𝘢𝘴 𝘢𝘥𝘢𝘱𝘵𝘦́. 𝘐𝘭 𝘳𝘦𝘷𝘪𝘦𝘯𝘵 𝘴𝘶𝘳 𝘭𝘦𝘴 𝘷𝘢𝘭𝘦𝘶𝘳𝘴 𝘥𝘦 𝘭𝘢 𝘙𝘦́𝘱𝘶𝘣𝘭𝘪𝘲𝘶𝘦 𝘦𝘯 𝘨𝘦́𝘯𝘦́𝘳𝘢𝘭, 𝘮𝘢𝘪𝘴 𝘱𝘢𝘴 𝘴𝘶𝘳 𝘤𝘦 𝘤𝘰𝘯𝘵𝘦𝘯𝘵𝘪𝘦𝘶𝘹 𝘴𝘱𝘦́𝘤𝘪𝘧𝘪𝘲𝘶𝘦 », explique Mary GOUVE, délégué du Procureur au SCJE de Lille.
Les faits divers, dans la région comme au-delà, confirment ce besoin. Détention illégale d’animaux sauvages, sévices sur animaux domestiques, morsures de chiens de catégorie non maîtrisés… Les médias en parlent de plus en plus, et les sanctions pénales — amende délictuelle, sursis simple, interdiction de détenir un animal — ne suffisent pas à sensibiliser les auteurs. Il fallait agir autrement.
En 2022, lors du bilan annuel du SCJE avec Mary GOUVE, coordinatrice du pôle des alternatives aux poursuites, Caroline ALIROL, directrice du SCJE de Lille, a proposé au parquet de Lille la création d’un nouveau stage : « La lutte contre la maltraitance animale et la responsabilisation à l’égard des animaux ». Cette année-là, la région a été marquée par des faits divers concernant la détention illégale d’animaux sensibles, des sévices sur animaux domestiques et des enjeux liés à l’adoption impulsive. « 𝘊𝘦𝘳𝘵𝘢𝘪𝘯𝘦𝘴 𝘱𝘦𝘳𝘴𝘰𝘯𝘯𝘦𝘴 𝘯𝘦 𝘱𝘳𝘦𝘯𝘯𝘦𝘯𝘵 𝘱𝘢𝘴 𝘤𝘰𝘯𝘴𝘤𝘪𝘦𝘯𝘤𝘦 𝘥𝘦𝘴 𝘦𝘯𝘫𝘦𝘶𝘹 𝘭𝘪𝘦́𝘴 𝘢̀ 𝘭’𝘢𝘥𝘰𝘱𝘵𝘪𝘰𝘯 𝘥’𝘶𝘯 𝘢𝘯𝘪𝘮𝘢𝘭 𝘢𝘪𝘯𝘴𝘪 𝘲𝘶’𝘢𝘶 𝘤𝘰𝘶̂𝘵 𝘲𝘶𝘦 𝘤𝘦𝘭𝘢 𝘦𝘯𝘨𝘦𝘯𝘥𝘳𝘦. 𝘋’𝘢𝘶𝘵𝘳𝘦𝘴 𝘯’𝘰𝘯𝘵 𝘱𝘢𝘴 𝘤𝘰𝘯𝘴𝘤𝘪𝘦𝘯𝘤𝘦 𝘲𝘶𝘦 𝘭𝘰𝘳𝘴𝘲𝘶’𝘰𝘯 𝘯𝘦 𝘳𝘦́𝘱𝘰𝘯𝘥 𝘱𝘢𝘴 𝘢𝘶𝘹 𝘣𝘦𝘴𝘰𝘪𝘯𝘴 𝘱𝘳𝘪𝘮𝘢𝘪𝘳𝘦𝘴 𝘥𝘦 𝘭’𝘢𝘯𝘪𝘮𝘢𝘭 (𝘢𝘷𝘰𝘪𝘳 𝘶𝘯 𝘦𝘯𝘷𝘪𝘳𝘰𝘯𝘯𝘦𝘮𝘦𝘯𝘵 𝘢𝘥𝘢𝘱𝘵𝘦́, 𝘷𝘰𝘪𝘳𝘦 𝘮𝘦̂𝘮𝘦 𝘭𝘦 𝘯𝘰𝘶𝘳𝘳𝘪𝘳), 𝘤’𝘦𝘴𝘵 𝘥𝘦 𝘭𝘢 𝘮𝘢𝘭𝘵𝘳𝘢𝘪𝘵𝘢𝘯𝘤𝘦. 𝘊𝘦𝘭𝘢 𝘱𝘦𝘶𝘵 𝘦𝘯𝘵𝘳𝘢𝘪̂𝘯𝘦𝘳 𝘥𝘦𝘴 𝘤𝘰𝘮𝘱𝘰𝘳𝘵𝘦𝘮𝘦𝘯𝘵𝘴 𝘢𝘨𝘳𝘦𝘴𝘴𝘪𝘧𝘴 𝘰𝘶 𝘪𝘯𝘢𝘥𝘢𝘱𝘵𝘦́𝘴 𝘤𝘩𝘦𝘻 𝘭𝘦𝘴 𝘢𝘯𝘪𝘮𝘢𝘶𝘹 𝘷𝘰𝘪𝘳𝘦 𝘮𝘦̂𝘮𝘦 𝘥𝘦𝘴 𝘢𝘤𝘤𝘪𝘥𝘦𝘯𝘵𝘴 𝘥𝘰𝘮𝘦𝘴𝘵𝘪𝘲𝘶𝘦𝘴, 𝘤𝘰𝘮𝘮𝘦 𝘥𝘦𝘴 𝘮𝘰𝘳𝘴𝘶𝘳𝘦𝘴 𝘤𝘩𝘦𝘻 𝘭’𝘦𝘯𝘧𝘢𝘯𝘵 », souligne-t-elle.
Quand l'expertise juridique rencontre le terrain animalier
La création de ce stage repose sur un travail de co-construction étroit entre le SCJE, l’autorité judiciaire et les partenaires spécialisés. À partir des orientations initialement définies par Caroline ALIROL et Mary GOUVE, un processus d’ajustements successifs a été conduit en lien avec le Tribunal Judiciaire de Lille et la Ligue Protectrice des Animaux du Nord de la France (LPA). La combinaison des expertises — juridique, opérationnelle et de terrain — a permis de bâtir un contenu rigoureux, conforme aux attentes de la juridiction et étayé par la réalité des situations rencontrées. Rien n’a été improvisé : chaque élément a été conçu pour répondre à un besoin identifié et garantir la pertinence du dispositif.
La LPA, première association de protection animale de la région, se révèle être un partenaire incontournable. « Lors du COLDEN 2024, elle a été la seule à manifester son intérêt pour ce stage lorsque je l’ai présenté à tous les partenaires », se souvient Caroline. Des chercheurs spécialisés dans le bien-être animal sont également consultés, apportant un regard scientifique sur ce qui, jusque-là, relevait surtout du terrain et du droit.
Puis vient le moment de donner vie au stage. C’est Manon Lepage, ancienne responsable de la fourrière de Roubaix et aujourd’hui assistante de santé vétérinaire, qui prend les rênes de la partie pratique. Forte de seize années de terrain, confrontée à toutes les formes de maltraitance animale et habituée à collaborer avec les forces de l’ordre et la DDPP, elle raconte avec passion et gravité. « La violence envers les animaux est souvent liée à d’autres violences et à des problèmes sociétaux. Il est impératif d’effectuer ces actions de prévention pour permettre à chacun de mesurer et de comprendre l’importance de cette violence », confie-t-elle.
La violence envers les animaux n’est pas un phénomène isolé. Elle reflète souvent d’autres violences, notamment celles subies par les enfants. « Ce parallèle revient régulièrement dans les enquêtes », explique Manon. Mais ce qui la frappe le plus, c’est la banalisation de cette violence, amplifiée par les réseaux sociaux. « Partager une vidéo de violence faite aux animaux, c’est déjà une forme de maltraitance indirecte. Peu de personnes en ont conscience », souligne-t-elle, invitant participants et lecteurs à réfléchir plus largement à la place des animaux dans nos vies et à l’attention que nous devons porter à chaque geste.
Une journée immersive, entre théorie et pratique
Dès les premières minutes, le ton est posé : le stage n’a pas pour ambition de juger, ils l'ont déjà été, mais de faire réfléchir afin de prévenir la récidive. Les participants sont invités à explorer le statut juridique de l’animal, à mesurer l’importance de l’acquisition responsable d’un animal, à reconnaître les différentes formes de maltraitance et à comprendre l’impact de ces actes sur les générations futures, et plus généralement sur l'environnement.
« Le stage n’a pas pour vocation d’incriminer ou de juger, mais d’amener à une prise de conscience et à une responsabilisation des actes », insiste Mary GOUVE, en charge de la partie juridique du stage.
La matinée débute par un voyage dans l’histoire juridique de la protection animale. Chaque mot de loi est décortiqué, chaque peine expliquée, pour rendre le droit vivant et compréhensible.
Les faits de société ponctuent les échanges : la corrida, les chiens “tendance” qui posent des difficultés aux propriétaires, les animaux de catégorie sensible… L’objectif est de rendre le droit applicable au quotidien, mais aussi de montrer que chaque acte humain a un effet sur l’environnement et sur la société. La protection animale devient ainsi un miroir de notre implication collective, et les participants prennent progressivement conscience de la portée réelle de leurs actes.
Les notions étudiées le matin se matérialisent l’après-midi par l’intervention de Manon Lepage. Les vidéos et témoignages montrent la réalité brute : les conséquences psychologiques sur les animaux, la maltraitance domestique et l’ampleur des abandons canins. « Nous sommes en saturation, les associations de protection animale sont de plus en plus sollicitées pour de moins en moins de places », explique-t-elle. Chaque exemple permet d’ancrer les notions juridiques dans la réalité du terrain.
Au fil de la journée, les objectifs se précisent naturellement. Les participants doivent sortir du stage avec une connaissance du statut juridique de l’animal, une réflexion sur l’acquisition responsable, une compréhension des différentes formes de maltraitance et surtout, une conscience aiguisée de l’importance d’agir correctement pour les générations futures.
Le stage se clôt sur une note de responsabilité collective : les participants repartent avec une meilleure compréhension de l’impact de leurs actes, de la loi et de l’éthique, et d’une conscience aiguisée des liens entre protection animale, société et environnement. Une expérience immersive qui dépasse largement la simple information : elle transforme le regard que chacun porte sur le monde animal et sur sa propre responsabilité.
Quand la sensibilisation ouvre de nouvelles perspectives
Les premiers retours sont positifs. « Il n’est jamais facile pour une personne qui protège quotidiennement les animaux de concevoir les actes des participants. Mais l’échange est essentiel : la pédagogie reste le plus grand des atouts », souligne Manon.
Les perspectives ? "Enrichir le contenu, le mettre à jour régulièrement et toucher un public plus large." précise Mary GOUVE.
Manon insiste sur la nécessité d’alourdir les sanctions et de faciliter l’accès au stage. « La protection animale n’est pas toujours celle que l’on peut voir dans les médias. Il est important que notre quotidien soit connu et que les lois soient respectées. Un gros sujet reste l’accès facile aux animaux sur “Le Bon Coin” malgré les interdictions. Ce type de site doit être lourdement sanctionné », affirme-t-elle.
Pour elle, la collaboration entre le SCJE et la LPA est une réelle opportunité : « Elle représente l’occasion de partager mon expérience, enrichir les connaissances et permettre une compréhension de certains actes. C’est le début d’une belle collaboration que je souhaite fructueuse, avec de nouvelles dates et des perspectives à long terme », conclut-elle.
À Lille, le SCJE et la LPA inaugurent une approche nouvelle de la prévention : immersive, concrète et pédagogique, qui invite chacun à comprendre les animaux et à réfléchir à sa responsabilité dans leur protection.